#11 ALADIN BORIOLI

Dans son travail, le photographe Aladin Borioli explore les notions anthropologiques liées à la photographie. Ses travaux s’inspirent entre autre de l’architecture et de l’apiculture. Le Neuchâtelois nous explique ici ce qui motive ses choix artistiques et ce qui l’intéresse dans sa pratique…

À quelles priorités et / ou préoccupations est tu confrontée dans ton travail créatif et comment les résous-tu? En d’autres mots – quelles questions critiques ne cessent de revenir dans ton travail et tes projets?

Les thématiques que j’aborde dans mon travail sont fortement liées à l’anthropologie et je me plais d’explorer les liens entre plusieurs domaines anthropologiques. À travers « Apian », le projet que je présente pour les bourses fédérales, je questionne la sculpture et sa transcription photographique. J’aime le paradoxe de travailler la sculpture avec la contrainte de la bidimensionnalité de la photographie. Deux autres notions sont particulièrement importantes dans mon travail : celle du temps, ainsi que la posture de l’amateur. C’est une chose que j’ai notée et qui m’a beaucoup marquée dans l’apiculture, c’est un métier qui est resté très amateur.

„Doubt, Delight and Change!“ était une devise de Cedric Price (un architecte visionnaire, connu pour ses immeubles qui ne virent jamais la lumière du jour – mais qui fut l’un des architectes les plus influents de la fin du 20e siècle). Quelle est ta devise et pourquoi?

De la deuxième partie du 20e siècle à aujourd’hui, “l’architecte est devenu un artiste d’un genre inédit : c’est avant tout un trend-setter, à l’instar de Koolhaas qui ouvre de nouvelles perspectives au marketing de Prada non seulement en fournissant « l’emballage », mais aussi en lui insufflant un esprit nouveau. Dans une économie du spectacle, l’artiste apparaît comme un élément clé capable d’inventer une mise en scène pour assurer la continuité du spectacle. S’il est vrai, comme le soutient David Harvey, que le capitalisme a été sauvé par l’industrie immobilière, on peut dire qu’aujourd’hui il est sauvé par l’art des créatifs appliqué à la production de simulacres formels, tendances, styles, surfaces. L’archistar ne travaille par pour la mode, car son nom est lui-même un logo, un sésame qui permet de faire main basse sur un espace de la ville, d’apposer une signature sur un musée, une boutique ou une île de Dubaï comme on le ferait sur un T-shirt. Il nous faut ici réactualiser la pensée de Debord : l’art n’est pas seulement pur spectacle, il s’est dématérialisé, réduit à un vague aperçu de l’élan créatif, de sorte qu’on n’en garde que l’atmosphère, l’allure”. Franco La Cecla.

Tout commence peut-être par l’exposition « Architecture Without Architects » imaginée par Bernard Rudolsky, au musée d’art moderne de New York en 1964. Cette dernière donne pour la première fois la parole à l’architecture vernaculaire.

Défini en ces termes par Pietro Belluschi :

“As communal art, not produced by a few intellectuals or specialists but by the spontaneous and continuing activity of a whole people with a common heritage, acting under a community of experience.”

Définition à laquelle j’aimerais ajouter celle d’Ivan Illich, qui est particulièrement pertinente dans ce contexte – extraite de son ouvrage « le genre vernaculaire » :

« Il désigne l’inverse d’une marchandise. Était vernaculaire tout ce qui était confectionné, tissé, élevé à la maison et destiné non à la vente, mais à l’usage domestique. »

À mon avis, c’est dans cette idée d’une nouvelle architecture vernaculaire – remit au goût du jour par Pierre Frey dans son ouvrage « Learning from Vernacular » – que se situent de nouvelles théories architecturales pertinentes, et non dans le patronyme d’une nouvelle « Archistar». Les visionnaires ce sont ceux qui ont permis de lutter contre cette idée d’une architecture dévouée au désir du capital, des architectes comme Adolfo Natalini – fondateur de Superstudio –, qui avec son collectif tient une posture critique à l’encontre d’une tendance à l’accélération perpétuelle et une aversion idéologique pour le tout technologique.

Frank Lloyd Wright, St. Mark's Tower Project, New York City, 1929.
Maisons à Mabas (Nord-Cameroun)
Déplacement d'un toit de maison en Guinée

Et ce que nous voudrions vraiment savoir: quelle est la possession qui t’es la plus précieuse?

L’imagination. Tout d’abord parce qu’elle est universelle – c’est une faculté commune, ce qui ne la rend que plus précieuse – et d’une élasticité infinie : « Contrairement à la plupart des autres plaisirs, ceux de l’Imagination ne sont pas fugaces et volatils ; sa force se trouve plutôt accrue qu’épuisée par l’exercice. » Henry David Thoreau.

Photo: Ecal, Aladin Borioli.
Photo: Ecal, Aladin Borioli.

Plus d’informations sur Aladin Borioli et son travail sont à trouver sur son site web.